La sonnerie s’extirpe du songe. Puis s’arrête. Puis reprend. Encore. Mes yeux s’ouvrent et vont du chaos du rêve au chaos du jour. A chaque mouvement, mon corps prend conscience. A travers les persiennes bordeaux, le bleu du ciel s’échappe. Se lever et quitter la chaleur de la chemise de nuit. Passer le pantalon, puis le T-shirt et enfin, le sweat-shirt. Debout dans la mi-pénombre, je cherche des chaussettes sous un amas de vêtements, reliefs des jours passés. A moitié éveillée, je me dirige enjambant des cartons à ranger un jour à venir, je tire la porte et vais laper l’eau qui coule du robinet de la salle de bain. Maintenant, je vérifie la poche kangourou de mon sweat. Les mouchoirs y sont encore. J’y glisse mon porte-monnaie. Je décroche mes clés et mets mes baskets, les clés toujours dans la main. Inconfortablement. J’ouvre la porte d’entrée, sort, la referme puis descends les escaliers, encore embrumée de la nuit. Traverser la petite cour. Passer la petite porte. Traverser le petit hall. Mon regard s’arrête sur la tête en stuc. Quelques pas et … ! La grande porte.
Je suis dans la rue qui se réveille. Ecouter les oiseaux. Le ciel est aussi bleu qu’il me l’avait promis. Atteindre vite le bosquet d’arbres qui ouvre l’entrée du parc. Un monde paisible surgit. La nuit ne s’est pas totalement évaporée de la pelouse. De la brume s’en élève, imprimant une pause temporelle. Des lutins pourraient surgir et danser la ronde. L’air sent la malice d’un jour qui point. Je suis le chemin et tourne à gauche.
Et je la vois cette toile longuement bâtie qui s’empare des couleurs du blanc, tissu précieux qu’une princesse aurait abandonnée, rentrant du bal avec ses chaussures usées. Le voile tendu entre quelques branches qui pendent dévoile une image altérée de la pelouse. Et la bâtisseuse a délaissé son logis. Elle s’est recroquevillée derrière une feuille et attend le retour de la nuit, impatiente.
Plus loin, des escaliers d’un château qui n’existe pas, caché parmi les arbres. Je leur tourne le dos et regarde. Le parc sort de sa torpeur. Une femme, ombre encore grisée, promène au bout de sa laisse un chien. Il furète de droite et de gauche. Bientôt, ils ont disparu. Et des cosses des arbres s’affalent dans un bruit sourd, étouffé par l’humus du bois. Où sont les lutins qui les font tomber ?
Couchée sur la marche de pierre, je contemple le vert sombre du feuillage dans le bleu du ciel. J’ai vu un de ceux qui se font passer pour les lutins : un écureuil saute d’une branche à l’autre avant de rejoindre son nid.
Et je m’étire. Je m’active. Je suis réveillée. Je repars et traverse le parc. Les petites maisons libèrent leurs habitants. Qui va à l’école. Qui va au travail.
A la boulangerie, je choisis mes petits pains blancs.
Dans ma cuisine, je suis assise devant mon thé chaud. L’ordinateur s’allume. Je me connecte au monde.
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