mercredi 25 août 2010

Le meilleur ami de l'homme

Sur la berge du lac, ombragée, se tient un labrador noir. Dans l'eau, face à lui, nage un homme. Il voudrait que l'animal vienne jouer avec lui. Mais le chien a déjà sauté une fois dans l'eau. Cela ne lui plaît pas. Quand même, il voudrait jouer avec son maître.
Il a dans sa gueule une branche. Il la laisse tomber dans l'eau. L'homme, en quelques brassées, vient la chercher, recule et la lance quelques mètres plus loin.
Il attend. Le chien attend aussi. Puis il aboie, saute sur ses pattes arrières, aboie de nouveau. L'homme ira bien chercher son jouet !!
Et l'homme nage jusqu'à la branche, la saisit, la ramène et redonne au chien son trophée. L'homme est assez fier de lui-même, le chien est content de son maître. Ils voudraient encore jouer. Pour cela il faudrait que l'animal entre dans l'eau, quand il reste toujours humide de son premier bain.
Alors, la branche dans la gueule, il fait demi-tour, quitte son promontoire, passe derrière les arbres, s'ébroue. Il jette un dernier regard à son maître. L'homme appelle toujours son chien pour jouer. Mais le chien, trottant, va se faire bronzer sur la pelouse.



Creative Commons License
Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons.

samedi 7 août 2010

Titre à venir (partie 2)



Arrive alors F`` la chanteuse mezzo soprano. Très vite, avec U**, elle entre en studio. Petit échauffement. Petits accordements. Et ça y est le duo commence. D’abord une simple phrase qui sera répétée à plusieurs reprises. Finalement assez peu. F`` sait ce qu’U** veut : elle a répété chez elle dans ce sens. Trois prises sont faites. Elles nous rejoignent dans la salle de régie. Ecoute attentive. Musique sublime. Il faut reprendre un peu, le « L » n’est pas complètement satisfaisant et le volume un peu trop fort : les sons sont parasités. Retour en studio. De nouvelles prises. Avant même l’écoute, elles savent qu’elles ont ce qu’elles voulaient. Dans le même temps, P^^ et A'' se sont regardés. Ils sont enthousiastes devant cette prise. Retour rapide en régie. Ecoute. De nouveau dans la salle des pianos. « Dann kommt der Schwierige » (Et puis arrive le plus dur). Telle une espionne, je surprends leurs confidences de travail. De nouveau, le piano sonne. U** donne les premiers accords, et s’élève la voix de F``, précise dessinant sur le goniomètre des traits et des ronds parfaits. « Beauty is a secret trust » résonne baroquement réverbérant la beauté de l’âme du lieu. U** confie sa musique aux micros, mais aussi à ses compagnons. Léger moment de doute. Avez-vous bien pris ceci ? Oui, venez écouter. C’est vraiment beau. Ecoute attentive encore une fois. U** debout, la tête penchée en avant, concentrée. F`` s’est assise, ferme les yeux pour mieux entendre. Elles ne sont pas complètement satisfaites. Mais peut-être peut-on de nouveau entendre ? F`` n’est définitivement pas satisfaite. Il faut recommencer. Le travail de studio est un travail de répétitions jusqu’à saisir l’expression parfaite, la bonne prononciation, le bon accord entre les deux instruments, voix et piano. Travail pas à pas, travail de fourmi qui fait alterner jeu et écoute. Se figurer comment chaque morceaux, esquisse, se mettant bout à bout formera une œuvre complète. Enfin, arrive le moment où chacun est d’accord. Sublime.
Le départ de F`` permet la pause déjeuner. Pendant ce temps, je pars explorer les environs. Un café a été ouvert dans un bâtiment voisin. Il semble complètement anachronique, presque uchronique, dans un hors-temps. La décoration ressemble à celle de l’Allemagne de l’Est des années soixante, mais se superposent des éléments absolument contemporains : les prix en euros, les publicités pour des cafés italiens, la radio qui traite de sujets politiques européens, une boule à facettes. Ce lieu transporte dans une époque presque fictive.
Retour au studio. Fin de la pause déjeuner. L’après-midi est consacré à des raccords. Nous écoutons les enregistrements des derniers jours, moi à travers le casque. U** n’est pas toujours satisfaite. Je le devine plus que je ne l’entends puisque j’écoute encore la musique. Je regarde leurs corps en mouvement, en position d’écoute, puis leurs commentaires. Cela ressemble presque à un film muet pour lequel le pianiste et le batteur joueraient à contre-temps du film. Mais comment se repérer dans les différentes prises de son ? P^^ fait surgir sur l’ordinateur le compteur. Le temps s’est accumulé par tranche. Déjà 681 minutes ont été prises, soient près de 28 heures de travail. Pour retrouver quelques secondes insatisfaisantes, il faut se servir de notes prises les jours derniers, puis naviguer dans ces tranches de temps figées maintenant. Puis de nouvelles secondes, puis de nouvelles minutes se rajouterons à cette bande sonore dont des passages sont dupliqués. Comme si on faisait un copier-coller du temps qui se superposeraient à de nouvelles expériences.
Et toujours lors de l’écoute le fil vert se tend et se détend au gré de sons chiffonnés, ronds, triangulaires ou étirés. Et toujours les aiguilles de l’horloge avancent, me rapprochant de ce moment où je devrai quitter le studio. Je n’étais venue que pour faire la petite souris, regarder la création d’un album avec la confrontation de différents mondes musicaux qui parviennent, dans celui d’U** à communiquer. Elle se remet au piano quand je quitte le studio.




Creative Commons License
Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons.

vendredi 6 août 2010

Titre à venir (partie 1)



Le rendez-vous était donné à 10h. Pour la première fois, j’entrerai dans un studio d’enregistrement !
Bien sûr j’avais déjà vu des extraits de films qui se déroulaient en studio. Mais cette fois-ci, ce serait pour de vrai. Cerise sur le gâteau, le studio se trouve dans les anciens locaux de la radio d’Allemagne de l’est, au bord de la Spree. Des bâtiments, qui datent de bientôt soixante ans ! Un lieu à l’âme incroyable, mais dont chaque pas fait résonner le vide qui aujourd’hui l’occupe. Certes les plus grands orchestres et artistes, comme Sting, viennent y enregistrer leurs albums tant leur qualité acoustique est bonne. Mais ces bâtiments ne sont que très peu utilisés en comparaison à cette qualité.
Nous irons en voiture, traversant Prenzlauerberg, Friedrichain pour arriver à Köpenick, ou plutôt Oberschöneweide. En chemin, U** et son assistant P^^ font un rapide bilan des derniers jours d’enregistrement et du programme de la journée. Une chanteuse mezzo-soprano, F``, doit nous rejoindre au studio. U** et elle travailleront un ou deux morceaux, dont Lament. Mais nous sommes déjà arrivés devant la Funkhaus Nalepastraße. Nous longeons les bâtiments de briques pour nous arrêter devant un édifice en quart de cercle, impressionnant par sa taille. L’extrémité donne sur la Spree, face à une forêt. Nous ne sommes pas loin du centre de Berlin, mais nous voici au milieu de la campagne.
Les sonorités, ou plutôt la manière dont retentissent les bruits est différente selon les emplacements dans le bâtiment. Dans les couloirs, ils résonnent, froids. A l’intérieur la pièce de régie, les sons sont enveloppés de chaleur. Dans le studio dédié au texte, ils sont étouffés. On y deviendrait fou, dit P^^, car ils ne reviennent pas. Ce studio permet de faire le doublage des scènes tournées en extérieur. La salle consacrée aujourd’hui à l’enregistrement ressemble à un musée du clavier : un vieux piano électrique, déchapeauté laisse voir sa matrice électronique ; un orgue d'étude a une note bloquée ; un piano-jouet est posé sur un tabouret haut, offrant une extension au grand piano à queue, Impérial, prêté par Bechstein. Ce dernier cache un demi-queue, qui ne servira pas. De longs rideaux ferment par endroit l’espace. Ils semblent avoir été laissés ainsi au hasard. Mais non. Ils produisent une réverbération du son particulière, le rendant plus chaleureux. Cette résonance convient tout à fait à la musique d’U**. Enfin le premier studio qui emmène à la salle des piano ou à un autre couloir, ressemble à la caverne d’Ali Baba. Des panneaux plus ou moins ouverts, de vieux amplis, ronds, blancs, une trottinette. Celle-ci est le moyen de locomotion dans le grand couloir qui ouvre par une baie vitrée sur la Spree. Le marbre au sol est sublime, tout comme les bois utilisés partout pour recouvrir les murs, quand ce ne sont pas les tentures rouges et crème. Enfin, chaque pièce communique par des doubles portes, les isolant les unes les autres tandis que des doubles vitres les font communiquer visuellement avec le studio de régie. Mais pas la salle des pianos dont les rideaux sont tirés.
Le seul moyen de savoir ce qu’il se passe dans cette pièce est d’affuter son oreille et de laisser son imagination courir. Mais avant cette étape, il y a la mise en condition et la concentration. Nous avons rejoint A'', le propriétaire et ingénieur du studio qui travaille depuis longtemps avec U**. C’est avec lui qu’elle enregistre les hörspiele. Il connaît bien sa musique et sa manière de travailler. Chacun reprend ses repères : U** me fait visiter les différents studios, le bâtiment, P^^ et A'' finissent de brancher les ordinateurs portables. On s’échange les impressions sur les enregistrements de la veille. Est-ce que cela s’est bien passé ? Oui. Et la découverte de T. ? Sa musique surprend. Est-ce de la musique ? Il manipule au gré de son inspiration des petites manettes, reliées à des sons sinusoïdaux, tellement aigus qu’ils sont parfois difficilement supportables. Encore quelques instants et l’on écoutera ce qui a été mis en boîte la veille. Le temps de passer quelques coups de téléphone, de reprendre possession du lieu, d’habituer le corps, l’ouïe à cet espace si étrange. Le temps d’être fascinée par tous ces objets qui clignotent, ces fils partent des meubles, des ordinateurs. Le plus fascinant est le goniomètre. Il ressemble à l’oscilloscope sur lequel nous faisions nos expérience en sciences physiques. Mais il ne marque qu’un point au repos. Lorsque le son surgit de l’ordinateur où il a été enregistré, ce point s’étire et forme des figures. Ce sont alors des cercles à la ligne précise, des traits verticaux ou obliques ou alors de petites pelotes de fils verts. Le son semble, à travers cette fenêtre, vouloir s’échapper, et prendre vie. Cet appareil sert à visualiser la différence de phases du son entre deux points, mais le résultat est particulièrement joli.
En écoutant les différents Moments enregistrés les jours précédents, le fil vert s’étire, se tort, se contorsionne, puis soudain forme un cercle parfait. Ces morceaux s’intercaleront entre de plus longs. Ils reprennent des thèmes repris des derniers Hörspiele de U**. T°° a improvisé sur la partie piano jouée par U**. Des sonorités aiguës entrent en tension avec la rondeur du piano. Deux langues musicales différentes sont en train de se parler. Plongée dans l’écoute, le temps semble s’étirer, je ne le perçois plus. Ce dialogue m’a transportée au cœur de la musique. Puis cela s’arrête. Il y aura des changements à faire. Les avis sont partagés car l’écoute dans ces morceaux n’est pas évidentes. Certains sons sont dérangeants. Ils contrastent totalement avec le reste de l’album plus chaleureux, plus sentimental, peut-être. Mais la tension qu’ils créent laissent entrevoir quelque chose de nouveau, d’indéfinissable. Je repense au jeudi précédent quand U** et T°° se sont rencontrés. Chacun connaissait l’univers de l’autre mais n’avaient pas encore travaillé ensemble. Dès les premiers contacts, pourtant, ils ont trouvé un dialogue possible.




Ce texte a été écrit entre décembre et janvier derniers. Comme je n'ai pas les autorisations par les personnes citées pour donner leur nom, tu ne trouveras que les initiales avec des petits signes personnalisés pour chacune afin de faciliter la lecture. Demain, je publierai la suite du texte. Si j'y pense, je publierai le texte en entier quand l'album paraîtra à l'automne prochain. A demain !

Creative Commons License
Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons.